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Dr Bertrhrude Albert, des livres et des stylos pour changer Haïti

Le 5 octobre 2022, Bertrhrude Albert recevait le prix mondial d’excellence pour le développement des enseignants, le prix UNESCO-Hamdan, au siège même de cette entité des Nations Unies, à Paris. Une belle récompense pour son implication dans l’éducation ici en Haïti avec l’organisation qu’elle a cofondée, P4H Global. Mais qui est cette jeune femme qui vient aussi d’être sélectionnée par le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) pour siéger pendant cinq ans au niveau de la Commission nationale de la science, de la technologie et de l’innovation (CoNaSTI) en Haïti.


Qu’on se le dise, ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre une Bertrhrude Albert. Cofondatrice de l’organisation à but non lucratif Projects for Haiti (P4H), la brillante professeure d’université affiche sur son curriculum vitae une licence en langue anglaise, un master en Latin American Studies et un doctorat en Agricultural education and communication effectué en 2016. Et alors que le pays s’enlise dans une crise sans précédent qui fait douter même le plus parfait des optimistes, elle ne jure que par et pour un avenir meilleur pour Haïti. Pour elle, ce peuple qui a fait 1804 ne peut pas mourir.

« Nos ancêtres ont réalisé la Révolution haïtienne en abolissant l’esclavage pour toujours. Aujourd’hui, nous participons à une autre révolution. Cette fois, nous ne nous battons pas pour briser les chaînes qui lient nos mains et nos pieds, mais plutôt les chaînes qui lient nos esprits et nous empêchent de nous développer. À la fin de notre combat, comme nos ancêtres, nous serons victorieux, non pas avec des fusils et des machettes à la main, mais plutôt avec des livres et des stylos », déclarait-elle fièrement en recevant sa distinction en octobre dernier.

Née le 4 mai 1990, Berthrude Albert quitte sa ville natale, le Cap-Haïtien, à l’âge de 8 ans en direction des États-Unis où elle effectue toutes ses classes. Elle revient au pays pour la première fois après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Ce voyage marque un tournant dans sa vie. « J’ai été très vite frappée par la résilience, le courage du peuple haïtien. De mon peuple. Je n’arrivais pas à comprendre comment les gens arrivaient à sourire, à chanter, à continuer à prier au lendemain d’une telle catastrophe. C’est là que j’ai compris à quel point il est important de voir les gens, bien avant les problèmes. Dès lors,  j’ai pris la résolution que pour le reste de ma vie, je voudrais aider et servir ce pays », raconte-t-elle.

Nous avons besoin d’une société qui valorise l’éducation et le travail des professeurs 

L’année d’après, elle retourne au pays, et en bon diaspora, trimballe avec elle toutes sortes de produits de première nécessité et vêtements usagés pour faire des dons. Mais très vite elle se rend compte que cette façon de faire ne pourra pas conduire à un changement réel. Il faut plus que de bonnes actions ou des œuvres de bienfaisance. « Au cours d’échanges avec les gens, j’ai réalisé que l’éducation était l’un des problèmes majeurs auxquels ils étaient confrontés. Et j’ai décidé de m’outiller en ce sens. Je me disais, si on arrivait à transformer le système éducatif, le changement ne serait pas loin ».

C’est ainsi qu’en 2011, avec son amie Priscilla Zelaya, elle met sur pied  Projects for Haiti (P4H), une organisation à but non lucratif qui s’engage à former des personnes pour transformer la nation. Établie dans le Nord, P4H met en branle différents programmes de formation, dans les départements du Nord, du Nord-Est, du Sud et de l’Ouest. Outre le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), P4H jouit du support de partenaires, tels que la BID, World Vision, Food for the Poor. « Nous travaillons avec la plupart des grandes organisations qui évoluent dans le domaine en Haïti », dit-elle fièrement. Pour l’heure, pas moins de 8 000 enseignants ont déjà été formés par P4H, dont 3 000 sont passés par le nouveau programme P4H School PD (Professional Development) qui dure trois ans.

« Les professeurs sont les héros dans toute société. Mais les nôtres doivent consentir d’énormes  sacrifices pour continuer à offrir le pain de l’instruction à des milliers d’élèves en Haïti. Certains n’ont pas assez de ressources ou la qualification requise pour enseigner avec efficacité dans les salles de classe. D’autres passent des mois sans recevoir de salaire. Nous avons besoin d’une société qui valorise l’éducation et le travail des professeurs », rappelle le Dr Albert, qui croit que la réduction de la pauvreté passe par une éducation de qualité.

Le prix UNESCO-Hamdan

Dès l’instant où l’ambassadeur d’Haïti auprès de l’UNESCO les a nominés pour ce prix, elle savait  que c’était une grande opportunité. Et c’est donc avec une joie inestimable qu’elle a accueilli la nouvelle de sa sélection pour ce prix dont les gagnants sont choisis par un jury international composé de cinq experts dans le domaine au terme d’un processus très rigoureux.

« Nous avons gagné ce prix pour le travail que nous effectuons ici en Haïti; c’est le signe qu’il y a encore des gens qui ont encore le sens de l’excellence dans ce pays », indique Berthrude Albert, qui ne cache pas sa fierté. Créé en 2008, le prix UNESCO-Hamdan pour le développement des enseignants soutient l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, en vue de réaliser l’Objectif de développement durable 4 sur l’éducation qui constitue l’une des priorités de l’UNESCO. Décerné tous les deux ans, ce prix s’accompagne d’un montant de 300 000 dollars américains, partagé entre trois lauréats dont les projets visent à améliorer les performances et l’efficacité des enseignants.

« Nous sommes devenus un des trois pays à avoir gagné ce prix! Une première pour Haïti », confie-t-elle. Ceci a beaucoup d’importance pour moi. C’est une reconnaissance mondiale pour notre pays qui indique que même si les temps sont difficiles, il y a toujours des gens qui font un travail extraordinaire en Haïti, des gens qui se battent pour une éducation de qualité. Ce qui me donne encore plus d’espoir, c’est le fait de savoir que nous ne sommes pas les seuls à faire un excellent travail ici. P4H est un échantillon de ces organisations qui travaillent pour la qualité de l’éducation et ensemble. Ceci donne la garantie que nous verrons le changement en Haïti »,

Une influenceuse responsable

« J’aime Dieu, j’aime Haïti, j’aime ma famille. Ce sont des choses qui me définissent », confie Berthrude Albert. « J’aime aussi apprendre, j’adore me lancer des défis et les relever pour stimuler mon cerveau. Tous les deux mois, il y a au moins une chose nouvelle que je veux apprendre. L’an dernier, j’ai appris à faire du monocycle. J’ai appris la vidéographie, la photographie … », raconte gaiement celle qui est en passe d’atteindre son objectif de lire une centaine d’ouvrages portant sur Haïti cette année.

Portée par le désir de partager ses connaissances, en janvier 2022, le Dr Albert se promettait de faire l’effort de publier une vidéo chaque jour. C’était une façon pour elle de partager ses connaissances certes, mais aussi une forme de thérapie. « Travailler en Haïti est vraiment éprouvant », reconnaît celle qui vit entre la Floride et Haïti. « Au départ, je ne savais même pas comment faire un TikTok, mais j’ai tout de même essayé ». De 0 followers, elle a agrandit son audience sur les différentes plateformes de réseaux sociaux attirant plus de 100 000 followers sur TikTok et plus de 30 000 sur Instagram. La preuve que quand on veut on peut ! Elle publie régulièrement des vidéos ou capsules éducatives vantant l’histoire d’Haïti et adressant les commentaires racistes, discriminatoires et fausses informations qui pullulent sur la toile.

Récemment nommée membre de la Commission nationale de la science, de la technologie et de l’innovation (CoNaSTI), une instance stratégique de consultation, de réflexion et de proposition en matière de politique scientifique travaillant sous la tutelle du ministre de l’Éducation nationale elle ne cache pas son enthousiasme pour effectuer ce travail. On ne sait pas encore d’où elle puise cette énergie pour continuer à travailler comme elle le fait, mais une chose est sûre, elle ne s’arrêtera pas de sitôt. Un but ultime l’anime. « Je rêve de ce jour où on pourra dire fièrement que le système éducatif Haïti est transformé. Qu’on célèbre l’excellence dans l’éducation en Haïti et que le monde constate cette transformation. »

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