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Madame la Présidente Marie Neltha Féthière

On peut avoir un rêve, des objectifs, mais sans discipline et beaucoup de volonté, on n’accomplit rien. Rien n’est facile, il y aura toujours des hauts et des bas dans une carrière, mais il faudra s’armer de courage pour continuer.

Actuelle présidente de la Cour supérieure des Comptes et du contentieux administratif (CSCCA), l’économiste Marie Neltha Féthière est une des plus hautes personnalités publiques du pays. En dépit du contexte difficile, la juge et conseillère est fidèle au poste. Avec ses collègues, elle fait tourner cette institution indépendante chargée, entre autres, de juger les actes de l’administration publique, d’assister le Parlement et l’exécutif dans le contrôle de l’exécution des lois et dispositions règlementaires concernant le Budget et la Comptabilité publique. 

De temps à autre, le bruit des rafales d’armes automatiques fend l’atmosphère. Marie Neltha Féthière, la présidente, demeure stoïque. Ces détonations font désormais partie de son quotidien car le nouveau local de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) est  l’une des rares institutions encore présentes au bas de la ville. À quelques mètres de cet édifice moderne inauguré en novembre 2020, c’est la ligne de feu où s’affrontent les bandits armés qui assiègent la population. « Ne vous inquiétez pas, c’est un peu loin », lance-t-elle avec un air qui se veut rassurant.

Tous les jours, celle qui préside pour une deuxième fois la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) est à son bureau. « Je ne peux pas ne pas être là », dit-elle. Au niveau de la Cour, le travail ne manque pas et ses fonctions viennent aussi avec d’énormes responsabilités. De temps à autre au cours de l’entrevue, elle s’excuse de prendre une pause pour répondre à un appel important, donner une signature, ou transférer un dossier. Très habile avec les chiffres, elle détecte les irrégularités et reste prudente.

Le contexte est difficile, mais le devoir avant tout. « Par habitude, tous les matins, quand je me lève, je prends un petit temps de réflexion pour prier. J’ai une obligation en tant que responsable d’institution de trouver les moyens pour venir travailler. De donner l’exemple aussi, car ma présence peut aussi motiver les autres. Nous prenons tous des risques pour venir au bureau, mais chacun de nous doit jouer sa partition », avance la numéro un de cette institution qui, entre autres dossiers urgents à gérer, doit faire face à l’enlèvement d’un des employés de l’institution.

Neltha Féthière a grandi à Thomonde, dans le département du Centre. Elle entre à Port-au-Prince au cours des années 86 et poursuit ses études classiques au collège Frère Adrien à Carrefour. Délaissant une carrière en médecine, comme l’auraient voulu ses parents, elle s’oriente vers les sciences économiques à l’Institut des sciences économiques et juridiques (ISSEPJ). Un 2 juin 1999, elle commence sa carrière en tant que contractuelle à la Direction de la dette publique au sein du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF). « Je me sentais déjà riche avec ce salaire de 7,000 gourdes. Bien entendu, pour les trois premiers mois seulement, s’amuse-t-elle, mais j’étais tellement fière de faire le suivi du paiement de la dette publique que je me sentais dans mon élément. J’ai utilisé une partie de ce fonds pour constituer ma bibliothèque. J’aime beaucoup la lecture », confie cette grande lectrice qui fut une cliente fidèle pour les librairies de la place. 

De la Direction de la dette publique, elle passe à la Direction générale du Budget, puis à la Direction des études et de la programmation. Boursière de l’État haïtien, elle part en France en 2010 pour un Master II en analyse économique et développement international, spécialisation, gestion de la politique économique. Elle effectue un stage au Fonds monétaire international (FMI) à Washington, puis revient au pays pour servir comme directrice de la dette publique entre 2011 et 2014. Une navette qui permit à celle qui fut aussi contrôleur financier principal de mieux comprendre les institutions publiques, mais aussi de se faire une autre idée du pays et de ses problèmes. 

« Dès mon entrée au sein de la Direction de la dette publique, j’ai été bien encadrée. C’était aussi une période où l’on ne regardait pas l’heure en travaillant. On se donnait sans compter à la tâche. On savait que l’on avait des obligations envers l’État. Ce n’était pas comme aujourd’hui où les employés trouvent tous les prétextes pour ne pas venir travailler », se souvient la présidente, même si elle reconnaît que la conjoncture actuelle a aussi un impact non négligeable sur cette situation. 

Le 7 avril 2014, Neltha Féthière prête serment comme conseiller à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA). C’est une étape décisive de sa carrière si on tient compte du rôle important que cette institution est appelée à jouer dans le pays. Celle qui adore le challenge se met à la tâche. Mais donner des résultats n’est pas donné d’avance. Une partie du travail de la Cour dépend aussi des institutions publiques avec lesquelles une collaboration est nécessaire. Ces dernières devraient entre autres acheminer les rapports financiers accompagnés de leurs pièces justificatives à cette instance. On serait tenté de croire que les autorités qui gèrent l’argent de l’État trouveraient évident de rendre compte de leur gestion. Mais hélas !

La reddition des comptes, c’est une culture que nous n’avons pas ici. Mais malheureusement on n’est pas encore à cette phase. « Avec la situation sécuritaire du pays, il arrive que ceux qui doivent préparer ou fournir les rapports ne peuvent pas se rendre au bureau. Alors on doit attendre. Et quand le temps passe, ça veut dire que nous, au niveau de la Cour, nous ne pouvons pas avancer. Et très souvent quand nous demandons aux institutions une information, elles prennent une éternité avant de réagir. Dès fois vous recevez des boîtes de dossiers, je dois mettre mes documentalistes à disposition pour faire le dépouillement pendant des jours, et ce n’est qu’après l’appariement des pièces, travail que vous faites à leur place, que vous remarquez que 30 à 40% des documents envoyés ne correspondent pas à la période que vous avez demandée », explique la conseillère. Entre lenteur administrative, manque de volonté politique, l’efficacité du contrôle de la CSCCA se trouve grandement handicapée. 

Pourtant Mme Féthière ne se laisse pas abattre. Cette femme qui n’a pas peur des défis continue d’exiger des comptes et de faire son travail. Pas question d’abandonner ou de partir ailleurs. «Je ne vais même pas dire que c’est à cause d’un sentiment de patriotisme. C’est beaucoup plus que cela. Je sens que j’ai beaucoup plus à apporter ici qu’ailleurs. Où que l’on va, Haïti demeure un point d’attache. On ne peut être plus à l’aise que chez soi. Ailleurs, je suis un numéro, ici je peux aider à résoudre un problème », affirme la présidente, qui sent comme une dette envers ce pays qui l’a formée et a misé sur elle. 

Calme, bonne causeuse, empathique, Neltha Féthière accomplit son travail avec passion et use d’un leadership ouvert où la communication, l’écoute et le respect des autres prennent beaucoup de place. Discipline et volonté sont ses maîtres mots. « On peut avoir un rêve, des objectifs, mais sans discipline et beaucoup de volonté, on n’accomplit rien. Rien n’est facile, il y aura toujours des hauts et des bas dans une carrière, mais il faudra s’armer de courage pour continuer », avance cette franche catholique qui prend plaisir aux choses d’Église.

Grande lectrice, Marie Neltha Féthière adore cuisiner. Son plat fétiche, « le macaroni gratiné »; elle le réussit à tous les coups, se vante-t-elle, tandis qu’un large et beau sourire éclaire son visage. Au nombre des modèles de cette femme d’État, on en compte d’autres telles que Marie Laurence Lassègue, Mirlande Manigat ou encore Marie Carmelle Jean Marie. « J’ai beaucoup de respect pour ces femmes. Ce sont des gens qui apportent un peu de lumière dans ma journée quand je les rencontre ». 

Tandis qu’elle avance vers la fin de son mandat prévu pour 2024, elle n’a pas encore de plan fixe en tête. Alors qu’on insiste un peu, elle concède qu’elle se verrait bien au niveau de la Banque de la République d’Haïti (BRH), institution où elle avait toujours rêvé de travailler durant sa jeunesse, mais où elle n’avait jamais postulé. Elle pourrait aussi ouvrir son propre cabinet pour un peu partager cette somme de connaissances qu’elle a accumulées, ou encore construire finalement ce foyer d’accueil au profit des plus démunis pour les nourrir comme elle le fait de temps à autre. Elle se plairait aussi à se consacrer un peu plus à sa famille, à son fils de 5 ans qu’elle mentionne plusieurs fois au cours de cette conversation. Mais, une chose est certaine, Marie Neltha Féthière, quoique satisfaite de son parcours professionnel, ne se reposera pas sur ses lauriers de sitôt. 

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