Passionnée de philosophie, amoureuse du beau, boulimique du travail, Anne-Louise Mésadieu fait partie de ces femmes qui osent. Maire adjointe déléguée à la culture de la ville de Chaville depuis près de 15 ans, conseillère régionale d’Île-de-France, la petite fille de Cornillon Grand-Bois porte à bras le corps sa double culture haïtienne et française. Décorée de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2021, l’ancienne chargée des affaires culturelles à l’ambassade d’Haïti à Paris est une digne compatriote au sein de la diaspora francophone, une de ces personnalités qui ont contribué à cette belle cérémonie d’hommage au héros haïtien Toussaint Louverture au Panthéon, le 7 avril dernier.
En 1976, la petite fille qui naît un 12 janvier à la Maternité Isaïe Jeanty dite “Chancerelles” se doutait bien qu’elle serait au sein du Conseil régional d’Île-de-France, une des régions les plus riches d’Europe. Et pourtant, depuis 2015, Anne-Louise Mésadieu siège aux côtés de Valérie Pécresse, présidente du Conseil régional, portant des dossiers aussi importants que variés. Déléguée spéciale au Développement solidaire, elle préside le Fonds de soutien au cinéma, se charge des résidences d’écrivains, s’occupe de la coopération internationale et de la francophonie. À cela s’ajoutent sa responsabilité de maire adjointe déléguée à la culture au sein de la ville de Chaville qu’elle exerce depuis plus de quinze ans. Mais comment a-t-elle fait pour en arriver là, « la petite Anne-Louise », comme elle se surnomme affectueusement ?
« Je suis ce que je suis, parce que je viens de ce pays-là ! »
En 1986, Anne-Louise Mésadieu rejoint sa mère en France. À Chaville où elle s’établit, les Noirs sont minoritaires. « Je me rappelle que nous étions deux en primaire, une fille de diplomates et moi ». Loin de la paralyser, cette différence la plonge dans une quête de sens et d’identité. Quand on est jeune, on ne comprend pas forcément pourquoi on vous jette à la figure que vous venez d’un pays pauvre, plus connu pour ses malheurs que pour sa beauté et la richesse de sa culture.
À 17-18 ans, elle prend de plus en en plus conscience de ses racines haïtiennes, se plonge dans l’histoire de son pays d’origine et apprend à apprécier la richesse de son patrimoine. « C’était un peu dur au début. Donc j’ai toujours voulu me fondre à la masse. J’ai fini par réaliser qu’il est important d’assumer ses origines, d’être en phase avec qui l’on est, pour être bien dans sa peau. J’ai compris que je suis ce que je suis parce que je viens aussi de ce pays-là ! » confie celle qui va découvrir et tomber en amour avec la musique de Beethova Obas lors d’un concert aux États -Unis, dans le New Jersey, en 1997.
La philosophie lui est aussi d’un grand soutien. « Je me rappelle quand j’ai découvert les trois questions fondamentales de Kant, dans « Qu’est-ce que les lumières » : Qui suis-je ? ; Où vais-je ? Que m’est-il permis d’espérer ? Cela m’a poussée à la réflexion et l’acceptation s’est faite de manière tout à fait naturelle. Tu ne peux pas te connaître en oubliant tes origines, aussi modestes soient-elles. Et pour avancer, je crois qu’il est préférable de ne pas gommer cette part de soi. Les gens qui oublient leur histoire ressentent souvent un mal-être, une sorte de frustration, un souci d’identité… Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui est en conflit avec lui-même… Or, je constate malheureusement que beaucoup d’Haïtiens sont en conflit avec leur identité. Quand ils sont en Haïti, ils se comportent d’une façon, quand ils sont en France, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas qui ils pensaient être : résultat, ils se sentent perdus.
Moi, je me sens très bien en Haïti, surtout quand je trouve mes petites mangues francisques et mon petit poulet pays. Mais je me sens aussi à l’aise en France parmi les plus en vogue, les plus grands. Je suis en communion avec moi-même. Et je pense que c’est très important », plaide cette femme qui invite les autres à aller outre les préjugés noirs/mulâtres, à déconstruire les mentalités qui viennent de l’esclavage.
Ainsi son engagement envers Haïti va prendre différentes formes. Bien implantée dans la diaspora haïtienne en France, Anne-Louise Mésadieu, a été pendant longtemps une référence pour ceux qui arrivaient, ces étudiants soucieux de réussir leur aventure migratoire. « Plus je grandissais, plus on m’envoyait à Haïti. Mes origines, j’en ai fait une force pour pouvoir faire des choses, en améliorer certaines, pour m’imposer . À chaque fois que j’ai l’occasion de soutenir un projet qui a rapport à Haïti ou une personnalité de mon pays d’origine, je le fais avec beaucoup de fierté », lance celle qui a animé plusieurs émissions radiophoniques portant sur la littérature, la culture et l’histoire d’Haïti aussi bien que la politique.
Plus je grandissais, plus on m’envoyait à Haïti. Mes origines, j’en ai fait une force pour pouvoir faire des choses, en améliorer certaines, pour m’imposer . À chaque fois que j’ai l’occasion de soutenir un projet qui a rapport à Haïti ou une personnalité de mon pays d’origine, je le fais avec beaucoup de fierté
Sitôt les études classiques bouclées au lycée de Sèvres, Anne-Louise Mésadieu s’oriente vers le droit à l’Université René Descartes Paris V. « J’étais bien sûr une passionnée de philosophie, mais je ne voyais pas à l’époque les débouchés que l’on pouvait avoir à part être enseignante ou écrivaine. Or, moi, je ne me voyais ni enseignante ni je n’avais la certitude qu’écrire pourrait subvenir à mes besoins. Je me suis retrouvée dans le droit, un peu par hasard, consciente que cette discipline pouvait mener à tout », explique celle qui anticipe toujours et jette un regard réaliste et pragmatique sur la vie. Elle a lorgné un peu une carrière de juge pour enfants, mais c’est la politique qui la happe au passage, au gré de rencontres fortuites mais tout à fait intéressantes.
« Ma vie est une succession de hasards et de belles rencontres »
« Ma vie est une succession de hasards et de belles rencontres », dit-elle haut et fort pour expliquer un peu ce parcours atypique qui l’a menée où elle est actuellement. En effet, en 1998, après avoir été élue Miss Haïti de France, elle fait la connaissance de Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur en France, président du conseil départemental des Hauts- de-Seine de l’époque. Ce dernier s’intéressait à Haïti, en témoigne un ancien hôpital à Vieux Bourg d’Aquin qui porte son nom. Son directeur de cabinet, Christophe Tampon Lajariette, que je ne connaissais pas (avais-je osé dire à Pasqua), était pressenti pour être candidat aux municipales. Mais c’est finalement notre député de l’époque, Jean-Jacques Guillet, que j’avais rencontré en travaillant avec l’ancien directeur de la Jeunesse et des sports auprès de Pasqua, Michel Bes, qui s’est finalement porté candidat à la mairie de Chaville. Il m’a proposé d’être sur sa liste… Ce que j’ai accepté bien volontiers en faisant campagne à ses côtés. « Je crois que ma spontanéité, ma façon de dire les choses telles que je les pense et que je les sens ont contribué à m’ouvrir certaines portes », explique Anne Louise.
Élue à Chaville depuis 2008, elle s’occupe en priorité des affaires culturelles, d’un Forum des savoirs, du café du forum, série de conférences qu’elle anime une fois par mois à l’Atrium Chaville, mais aussi de l’accueil des nouveaux Chavillois. Elle en est actuellement à son troisième mandat.
En 2010, celle qui peut se vanter d’avoir un carnet d’adresses bien garni et qui a gravité autour d’hommes politiques très puissants en France fait campagne pour Valérie Pécresse. Cinq ans plus tard, soit en 2015, cette dernière lui propose d’être sur sa liste. C’est donc ainsi qu’elle sera élue au Conseil régional d’Île-de-France, la plus grande région en France, qui coiffe plus de 1 300 communes et une population estimée à 12 millions d’habitants. Vu son attachement à la culture, Anne-Louise Mésadieu se verra confier la commission y relative. De plus, en tant que Déléguée spéciale chargée du développement solidaire, elle est membre de la Commission des relations internationales et des affaires européennes, préside les résidences d’écrivains et chapeaute le Fonds de soutien au cinéma, le plus grand en termes de budget dans l’Hexagone.
Mais si des opportunités se sont présentées à elles, ce sont ses compétences qui lui ont permis de demeurer dans ces espaces de pouvoir où il est difficile de naviguer, surtout quand on n’est pas “la fille ou la femme de”. Comme elle le dit, « une fois ces portes ouvertes, il est impératif de montrer et prouver que l’on mérite d’être là où l’on est. Dès que j’ai eu mon premier mandat, je me suis mise au travail, j’ai mis des choses en place dans la ville. Par exemple, j’anime une conférence une fois tous les mois, le samedi. C’est un temps que j’aurais pu prendre pour moi, pour ma famille, mais que je consacre à la ville. Ce qui me permet d’y laisser mon empreinte. Les gens ne me voient pas par rapport à ma couleur, ils me rattachent à une compétence. Un mandat passe extrêmement vite, alors il faut prendre un maximum d’initiatives pour qu’à la fin de votre mandat les gens se souviennent de vous », expose-t-elle.
« Il y a aussi une chose que j’ai apprise en politique : Il faut faire et faire savoir. Si tu mets en place des actions et que personne ne le sait, on pourrait à juste titre penser que ce n’était pas la peine de vous donner votre chance …», ajoute celle que l’on verrait bien faire un TED Talk pour les femmes qui se lancent en politique. « Moi, j’ai conscience que je ne suis pas “la fille ou la femme de”, et que je suis une femme et noire… Oui, oui, ce n’est pas une connerie de dire que quand on est minoritaire, on doit en faire plus ! Moi, je suis une boulimique du travail. Là où certaines personnes peuvent se permettre de ne pas se préparer, moi je ne me l’autorise pas. Je connais mes dossiers et déteste ne pas maîtriser mes sujets, raison pour laquelle je préfère parler avec mes tripes lors de mes discours et non lire des fiches. Mais j’avoue avoir été à bonne école : je n’ai jamais vu mon maire lire un discours en quinze ans de mandat. Quand on te donne ta chance, c’est vraiment à toi de faire tes preuves et de te rendre incontournable », accentue Mme Mésadieu, avec le franc-parler qu’on lui connaît.
Elle a travaillé aux côtés de ces personnalités politiques qui lui ont servi de mentors, de modèles. Elle s’en est inspirée… comme par exemple Valérie Pécresse. « Je la vois à l’œuvre, cette ancienne ministre. C’est une bosseuse. Elle maîtrise ses dossiers. Quand elle va quelque part, elle ne laisse rien au hasard », témoigne-t-elle. Comme eux, Anne-Louise Mésadieu a bâti son réseau. « C’est vrai que j’ai créé mon propre cercle. J’ai ce carré de personnes sur qui je peux compter et vers qui je peux me tourner. Il y a beaucoup de gens qui prennent les gens pour des Kleenex, qui n’appellent que quand ils ont besoin d’un service. Moi, les belles rencontres, je les garde précieusement, je les nourris, je les cultive. Une fois que l’on met l’humain au centre, les gens veulent toujours prêter main forte. Quand on vient “de la part de”, très souvent les interlocuteurs vous répondent », avance Mme Mésadieu, qui met un point d’honneur à respecter l’autre, à être élégante même avec les adversaires politiques.
Cependant, il ne faut pas croire que tout lui vient sur un plateau d’argent. « Il faut aussi oser prendre les coups. Les encaisser et rebondir. On parle beaucoup de sororité, c’est un beau mot. Mais, ce n’est pas encore tout à fait au point même si on a beaucoup progressé quand même… Je constate qu’il y a parmi nous, les femmes, des jalousies mal placées et maladives qui nous freinent et qui, en fait, font le jeu des hommes. Nous, les femmes, si on s’épaulait mieux, si on se faisait plus confiance, on serait plus loin… », reconnaît-elle .
Une rude travailleuse
Pour se permettre d’espérer les sommets, il faut aussi être prête à en payer le prix. « Je dors très peu. Je suis toujours sur mon téléphone ou mon ordinateur à répondre à des emails ou à faire des suivis. Je lis beaucoup, je me renseigne aussi. Pour le cinéma, par exemple, j’ai plein de dossiers de scenarii que l’on m’envoie. Il faut quand même tous les lire, car c’est l’argent des contribuables que l’on utilise pour les financements. On n’a pas droit à l’erreur », avance celle qui est de plus en plus en déplacement, maintenant qu’elle s’est vu confier le portefeuille des relations internationales et de la francophonie au sein du Conseil Régional d’Île-de-France.
À cheval sur mille dossiers, Anne-Louise Mésadieu doit agréer des invitations par-ci et par-là. Mais aussi contribuer à des initiatives, telles que cette belle cérémonie d’hommage à Toussaint Louverture au Panthéon à l’occasion de la commémoration des 220 ans de la mort du héros haïtien, à Paris, le 7 avril 2023. « Ce n’est pas toujours aussi évident pour nous les femmes qui évoluons dans une société machiste. À être aussi en mouvement, ma famille a pris un petit coup ! Je suis séparée du père de mon enfant, mais j’ai un amour de fils qui sait tirer la sonnette d’alarme quand j’en fais trop, et ma mère qui vient aussi à la rescousse quand ça dérape un peu », confie cette femme aussi sensible qu’ambitieuse qui a aidé au développement des opérations de la UNIBANK et de la UniTransfer en France.
Quand c’est possible, madame adore cuisiner et recevoir. Rien qu’à parler des différentes recettes qu’elle maîtrise, un grand sourire éclaire son visage. Et bien entendu, elle fait naître une curieuse envie de goûter. Celle qui a fait son entrée dans le septième art, dans le film « Royal Bonbon » est aussi une grande fan de musique. Outre ces favoris, Emeline Michel, Beethovas Obas, BelO, BIC, James Germain, elle écoute sans se fatiguer, et toujours avec le même amour, du Aznavour, Barbara, du Brassens, du Piaff ou du Ferré. « Toute la journée, précise-t-elle dans un sourire. Ce sont les nouveaux que je ne maîtrise pas. »
Entre une nouvelle playlist et la poursuite de nouveaux rêves, le choix est vite fait pour Anne-Louise. Anticipant la fin de son mandat, on ne sait pas exactement où on la retrouvera, mais Anne-Louise a encore des projets qui lui tiennent à cœur. Comme asseoir l’avenir de son fils qui entre bientôt à la fac. Reprendre l’écriture de ce premier livre ou encore construire cette école de musique au nom de sa grand-mère maternelle quelque part en Haïti. Comme elle le dit toujours, il faut oser. « Oser, oser, oser y aller, oser rêver ! Oser se lancer, oser prendre des coups ». Ce sera d’ailleurs son dernier mot pour ceux qui veulent franchir les plafonds de verre.