Au-delà de son chapeau de présidente de la Fédération Haïtienne de Volley-ball depuis octobre 2010, Margarette Graham peut aussi épingler à son tableau d’honneur 33 années de carrière dans le secteur bancaire. Celle qui a tenu pendant plus de 25 ans les rênes de la galerie d’art Galata, siège à présent au Conseil d’administration de la société d’investissement ProFin et celui du Centre d’Art. Elle milite aussi au sein de la Fondation Aquin Solidarité et met son expertise au service d’associations régionales sportives, telles que la Confédération caribéenne de volley-Ball (CAZOVA), la Confédération Nord, Centre-Amérique et Caraïbes de Volleyball (NORCECA) et la Fédération Internationale de Volley-Ball(FIVB). Une vie bien remplie pour celle qui est tombée en amour avec le volley-ball dès l’âge de neuf ans.
« Bonjour la vie », a envie de crier Margarette Graham tous les matins quand elle se réveille vers 6 heures et 30 minutes. Contente d’avoir une nouvelle journée à enfiler sur le long collier de la vie, reconnaissante de pouvoir faire avancer les choses dans le bons sens. Elle fait ses 7,000 à 10,000 pas, prend son café, puis se lance dans la poursuite de ce petit but qu’elle se fixe tous les jours. Elle a mille et une activités mais elle adore cela. C’est un peu ainsi qu’elle vit sa passion, du moins, ses passions, parce qu’elle en a plusieurs.
Ancienne des sœurs de Sainte Rose de Lima, elle laisse Haïti à 17 ans pour les Etats-Unis. Là-bas, elle effectue une licence en économie à Hunter College puis une maîtrise en administration et finance à Pace University, à New York. De retour en Haïti en janvier 1981, elle débute sa carrière professionnelle à la Citibank en tant qu’officier de crédit. La jeune banquière s’attèle au travail, progresse et s’outille pour gravir les échelons, devenant responsable du département de crédit, et même directrice adjointe de cette institution qu’elle laisse 33 ans plus tard, en 2014.
La finance c’est un champ qu’elle aime énormément. Cela lui permet d’être en contact avec les gens de différents secteurs, lui permet de jeter un autre regard sur le pays, son économie, ses problèmes. « C’était une sorte d’apprentissage journalier, je ne me suis jamais ennuyée », explique Margarette Graham, qui se réjouit d’avoir pu côtoyer durant son parcours professionnel un as comme Gladys Coupet, ou encore un maître comme Thierry Bungener. « Ces deux-là l’ont vraiment influencée », reconnaît-elle.
Un amour du volley
« Le sport a été pour moi l’école de la vie. Je suis ce que je suis aujourd’hui grâce à la pratique du volley-ball », dit Margarette Graham qui devait avoir onze ans quand elle a commencé à faire ses premiers services avec le docteur Colette Baussan Lebrun, celle qui l’initie à cette discipline et qui aura sur elle une grande influence. Ce sport réimplanté en Haïti par le fondateur de la Fédération haïtienne de volley-ball, feu colonel Jacques Joachim, était très tendance à ce moment et on en jouait un peu partout.
Très douée, elle connaît donc la gloire avec l’équipe de volley scolaire de Sainte-Rose de Lima qui brille lors des compétitions et collectionne les trophées. C’est l’époque où la jeunesse de Port-au-Prince se donne rendez-vous régulièrement au Collège Saint-Pierre, à la rue Capois, pour s’affronter sportivement. Un temps aujourd’hui révolu !
Même à l’étranger, l’amour du volley-ball ne la quitte pas. Alors qu’elle étudie à New-York, elle met sur pied avec deux de ses amies, un club, le New York Kreyol Club, qui existe encore aujourd’hui avec plusieurs chapitres aux Etats-Unis et même au Canada. À Port-au-Prince, en marge de sa carrière de banquière, elle continue à pratiquer, s’implique dans la gestion de l’Association sportive Tigresses-Tigers dont elle a d’ailleurs porté les couleurs et dans différents types d’associations sportives. Elle participe à des colloques, débats, assemblées et réflexions pour essayer de structurer et de faire avancer ce sport pour la communauté et surtout pour la jeunesse. « J’avais très vite réalisé qu’il y avait une carence dans le management du sport en Haïti et je me suis impliquée », explique celle qui a disputé des compétitions internationales avec l’équipe Haïtienne, telles que Les Jeux Panaméricains de Cali en Colombie en 1971, la CONCACAV de juin 1973, à Tijuana, au Mexique.
En 2010, l’ancienne volleyeuse de l’équipe nationale haïtienne se porte candidate comme présidente de la Fédération haïtienne de volley-ball. Élue, elle est actuellement à son troisième mandat. « C’est mon dernier », nous signale-t-elle, comme si ceci était d’une importance capitale. Madame veut laisser la place aux plus jeunes.
« Je voudrais que d’autres fassent cette expérience qui peut être douloureuse à certains moment, mais qui est extrêmement enrichissante; qu’ils apportent du sang neuf et des idées nouvelles pour faire du volley-ball un nouveau chantier au bénéfice de notre jeunesse sportive ».
À ce poste, elle peut se vanter d’avoir connu certaines satisfactions. C’est sous sa présidence qu’Haïti a disputé pour la première fois, en Haïti et en 2016, la Phase I des éliminatoires du Championnat du monde de volley-ball 2018. Plus de 250 techniciens (entraineurs, moniteurs, arbitres) ont été formés depuis 2011. Des efforts ont été aussi entrepris pour élargir la pratique de ce sport à d’autres régions du pays. « Lorsque je suis arrivée, il n’y avait qu’une seule commune, Port-au-Prince, qui avait un championnat régulier de volley-ball scolaire. En 2019, nous avions 42 communes à y participer. 2020 et 2021 ont été catastrophiques », précise-t-elle sans pour autant battre la grande caisse. Mais, le travail n’est pas facile. Cela prend une bonne structure au niveau scolaire, des directeurs d’écoles qui sont convaincus des bénéfices d’une bonne pratique sportive, des entraineurs responsables, un encadrement assez pointu au niveau de la fédération. « Le volley-ball scolaire n’aurait pas dû être l’affaire de la Fédération. Mais on a réalisé que si l’on ne s’occupait pas du volley-ball scolaire, éventuellement on n’aurait personne à nous arriver dans l’élite. »
Cependant sans accompagnement de l’État au niveau de la pratique scolaire, il devient difficile de maintenir le rythme.
« J’ai fait un petit tour dans différents lycées de la capitale, il y a trois ans. J’y ai trouvé une situation catastrophique. Nos lycées, avec deux vacations par jour, ont un effectif de plus de 3 000 élèves. Ces derniers n’ont accès à aucune pratique sportive. Nous avons donc cette masse de jeunes laissés à leur compte, sans encadrement de l’État qui aurait dû leur permettre de pratiquer un sport et de faire valoir leurs talents sportifs. D’ailleurs, deux des lycées qui avaient été reconstruits par l’État après le tremblement de terre, n’ont aucune surface de pratique sportive. Je dis toujours aux responsables étatiques, prenons soin de nos élèves des lycées. Il y a là tout un réservoir de talents qui attend d’être découvert et qui ne peut exploser que si on leur donne l’opportunité de pratiquer une discipline sportive. »
MARGARETTE GRAHAM
Mais bien sûr, l’État fait la sourde oreille. « C’est le genre de choses qui me restera en mémoire après mon départ de la Fédération. Je n’ai jamais eu la possibilité de permettre à toute une frange d’élèves et de lycéens de prendre part à des activités sportives, quelles qu’elles soient», se désole-t-elle, avant d’insister sur le rôle important que doit jouer l’État. « L’État doit prendre ses responsabilités. L’État doit comprendre que cette jeunesse doit être sa priorité numéro un. Pire, lorsque l’État ne fait pas son travail, le privé ne se sent pas obligé non plus. Aujourd’hui je peux compter sur les doigts d’une main, les Fédérations qui sont sponsorisées par une entité privée en Haïti », avance Margarette Graham qui appelle à la mise en place d’un énoncé de politique publique sportive et d’un cadre réglementaire et légal qui réponde aux besoins de la communauté sportive ou du pays en général pour pouvoir faire vraiment avancer les choses.
Outre ces difficultés majeures, le chaos que connaît Haïti actuellement jette aussi son grain de sable dans le moteur. Plusieurs clubs n’arrivent plus à tenir des séances d’entrainement, donc font défection au niveau des compétitions. Quant aux compétitions interscolaires dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, elles sont à l’article de la mort. C’est difficile de demander à des parents de permettre à leurs enfants de prendre part aux entrainements après les heures de classe, ou à des responsables d’écoles de se déplacer pour prendre part à des compétitions: le transport est un irritant, la logistique de déplacement est quasiment impossible. Heureusement que nos entraineurs ont mis sur pied des compétitions intra-scolaires, que la province continue de bouger, de s’organiser et de tenir régulièrement des compétitions. »
Mais que l’on ne se méprenne pas. Être dirigeant sportif, tout court, n’est pas de tout repos. Il y a beaucoup d’intérêts en jeu, et par ricochet, des gens qui peuvent monter au créneau quand leurs intérêts semblent être menacés par un nouveau leadership éclairé. Il faut souligner que le machisme est aussi fortement présent .
« Quand on est femme en Haïti, il nous faut faire trois fois plus d’efforts que nos pairs masculins, pour se faire écouter, pour faire comprendre autour de soi qui l’on est et que c’est du sérieux. On se fait insulter, on tente de vous rabaisser sans raison. Mais je continue à faire mes plaidoyers, sans complexe aucun, sans me laisser décourager. Je me dis que mon travail à un but. Ce n’est pas moi qui suis en jeu, mais la jeunesse de mon pays », confie Margarette Graham, imperturbable face à ces comportements qui lui glissent sur la peau comme l’eau sur le dos d’un canard.
Une femme extrêmement occupée
Sur le terrain de la vie, Margarette Graham ne semble point vouloir observer de temps mort. De temps à autre, elle aime observer une pause pour prendre un verre avec des amis, parler d’Haïti, ce pays qui l’habite, pour voyager ou aller à la rencontre de nouvelles cultures. Mais, dans l’ensemble, la sexagénaire carbure aux défis et passe des heures sans compter au travail. D’ailleurs, au lieu de prendre sa retraite après son long parcours à la Citibank, elle s’est tournée vers ProFin, la première société d’investissement en Haïti. Elle fait partie de leur conseil d’administration et des comités de gestion. « Je suis extrêmement occupée », reconnaît-elle amusée.
Membre de la Fondation Aquin Solidarité, qui travaille depuis une quinzaine d’années à Aquin, sa ville de naissance, elle a tenu la galerie GALATA pendant 25 ans avant de mettre les clés sous la porte en 2013. Margarette Graham siège aussi au Conseil d’Administration du Centre d’Art. Elle trouve le temps pour participer aux réunions de conseil du North, Central America and Caribbean Volleyball Confederation (NORCECA) et préside la Commission Finance de cette association régionale et est aussi membre de la Commission Finance de la Fédération Internationale de Volley-Ball (FIVB). Avis, consultations, rédactions, tout ceci lui donne des journées bien remplies et la tient éveillée, souvent jusqu’après minuit. « J’ai rarement une journée où je n’ai rien à faire. Mais j’aime ce que je fais parce que je sens que je contribue à mon environnement et que je donne à Haïti ce que j’ai reçu d’elle”, répond celle qui prend aussi plaisir à mentorer ou accompagner des jeunes qui se lancent dans la finance ou dans leur vie professionnelle, quand ils la sollicitent.
Au moins on ne l’entend pas dire qu’elle trouve aussi du temps pour lire. Ce serait à la limite super naturel diraient certains. « Depuis quelque temps, je me retrouve à ne lire que des articles. Des articles sur tout et n’importe quoi. J’achète beaucoup de livres mais c’est toujours avec l’intention de les lire », ironise-t-elle. Sans maquillage – elle ne porte des rouges à lèvres que pour les grandes occasions –, son visage encadré par un rideau de cheveux soyeux, rayonne. Cette femme, cette épouse qui a toujours trouvé soutien et encouragement auprès de son époux, mère d’une jeune professionnelle qui est aussi volleyeuse, a tiré la bonne carte et elle est satisfaite.
Leçons de vie à la Margarette Graham
Certains la trouvent trop directe, d’autres un peu trop bossy à leur goût, mais pour avoir vu, vécu et entendu, Margarette Graham s’est forgée sa propre petite idée de la vie, des gens et du monde qui l’entourent. Pour elle, la vie est une succession de choix et de décisions.
« J’en ai fait et pris certains qui ont été très heureux, d’autres moins. Mais l’essentiel est que si on ne peut se débarrasser des choix moins heureux, il faut apprendre à vivre avec. Sans pour autant vendre son âme, vendre sa conscience ni essayer d’être ce que l’on n’est pas ou de faire semblant.»
L’intégrité est pour elle une valeur cardinale. « Faites en sorte de mener une vie intègre. N’essayez pas de prendre des raccourcis, cela vous rattrapera tôt ou tard. Lorsque vous êtes entier, juste, respectueux et intègre envers les autres et envers vous-même, je peux vous assurer que vous aurez une place dans ce monde et dans cette vie. Oui, votre intelligence, les bons réseaux vous permettront d’arriver plus facilement qu’un autre, mais qui vous êtes et l’intégrité avec laquelle vous approchez la vie parle énormément pour vous », explique-t-elle avant d’ajouter: « Ce sont des qualités que nous avons perdues et qui nous manquent énormément en tant que société, en tant que peuple, en tant qu’élites. Nous avons appris à passer à côté, à être marrons pour tirer avantage des succès immédiats mais qui ne seront qu’éphémères », se désole-t-elle.
« Approchez les choses, petites ou grandes, insignifiantes ou d’importance, de manière sérieuse et méthodique. Les résultats suivront », ajoute Madame Graham. Passez le mot à la jeunesse, c’est un peu ce que demande celle qui a fait le choix d’Haïti, son pays, son âme, sa chair. Cette terre où l’on peine à vivre tant la situation est délétère. «Mais je suis loin de perdre espoir. J’ ose espérer y vivre des embryons de changements », dit-elle.
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