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Johanne Nicoleau, Madame « Savon des Îles »

Depuis qu’elle s’est lancée en 2015, fabriquer le meilleur savon artisanal est devenu l’obsession de Johanne D. Nicoleau. Du simple savon à la glycérine, elle a perfectionné son art pour aujourd’hui développer toute une ligne de produits de bien-être luxueux commercialisée par la compagnie qu’elle a fondée « Savon des Îles ». Sacrée « Artisan de l’année » en 2020 par la plus grande foire artisanale du pays, “Artisanat en fête”, garder la barque de cette PME tient d’un engagement envers son pays, mais aussi une passion qu’elle est fière de partager avec le monde.

Si vous devriez vous présenter au public, que diriez vous? « Avant-tout, je dirais que je suis une nationaliste, tant je suis en amour avec mon pays. Je suis née ici, de parents Haïtiens. Mon père est jacmélien, ma mère est léoganaise. Ce sont des gens qui ont fondé un foyer strict mais très aimant, qui ont forgé mon caractère et fait de moi ce que je suis aujourd’hui », commence Johanne Nicoleau en guise de réponse.

Un «discours d’ascenseur» plutôt surprenant pour cette entrepreneure qui ne cache pourtant pas une carte politique sous son chapeau. Elle c’est Madame « Savon des Îles », digne fille d’Haïti. À deux fois elle a quitté le pays à cause des troubles politiques, en deux fois, elle est revenue. Elle se sent comme un pion nécessaire ici. Depuis 2017, elle y a implanté son entreprise et fait le pari de réussir ici en dépit des multiples difficultés rencontrées. « Je veux être engagée d’une manière ou d’une autre, on commence par « Savon des Îles » nous confiera-t-elle avant de prendre congé de nous pour cette rencontre qui se passe dans son bureau sur la route Frères. 

Haïti au coeur

Énergique, joviale, avenante, Johanne Nicoleau est de celle qui n’aime pas se prélasser dans la routine. Déjà toute petite, elle est initiée à la danse chez Vivianne Gauthier, a suivi des leçons de piano. L’école est certes au cœur de la vie de cette fillette qui des bancs du Kindergarten Peter Pan est admise au Collège Marie Anne.  « Ayiti nan kèm depi m piti », s’exclame-t-elle assurant que toute petite, son père, aventurier, lui a fait visiter la plupart des coins de ce pays. 

Alors qu’elle n’a que quinze ans, elle part en Floride. Ses parents, à cause de la situation du pays, envoient, elle et ses frère et soeur, chez une tante.  « J’étais vraiment furieuse de mes parents à l’époque. On ne savait même pas que l’on allait rester », s’écrit-elle. Bien qu’elle soit d’une famille où traditionnellement, on s’oriente vers la médecine, elle opte, contre toute attente, pour un double diplôme en finance et commerce international à Florida International University (FIU) en 1989. Elle débute sa carrière professionnelle en 1993 au sein d’une banque qu’elle laisse deux ans plus tard en tant qu’officier de crédit sénior pour rentrer s’installer en Haïti avec son mari. « J’avais toujours dit à ma mère que je retournerais en Haïti d’une manière ou d’une autre », dit-elle sur le ton de la plaisanterie. 

En Haïti, elle commence par travailler à la Sogebank, mais n’y reste que quelque mois. Elle partira par la suite mettre ses talents et connaissances au service de l’entreprise familiale, la firme Nicogénie S.A, jusqu’à son départ du pays en 2007.

J’avais toujours dit à ma mère que je retournerais en Haïti d’une manière ou d’une autre.

Mère dévouée 

Installée aux États-Unis, elle fait le choix de s’occuper principalement de l’éducation des ses deux enfants. Très vite, l’ancienne propriétaire de Candy Bouquet à Port-au-Prince, réalise que faire du 9-5 n’est pas trop évident chez l’Oncle Sam. Elle veut être présente pour ses enfants. Entre les menus détails à faire, cette mère dévouée touche un peu à tout. Elle est agent immobilier, notaire, traductrice, donne des cours de musique… tout, tant que son horaire le lui permet. 

Mais en août 2015, sa fille aînée doit laisser le cocon familial pour partir pour l’université. Ce moment décisif dans la vie de sa petite protégée chamboule son quotidien. «  Toutes ces années à l’élever, à la préparer pour son avenir, ne m’ont pas préparée au vide qui s’est installé après son départ. Je n’ai pas eu le temps de verser une larme ou de méditer sur la rupture de notre mode de vie des 17 dernières années. Juste comme ça, elle était partie dans une autre ville et avait commencé une nouvelle vie. Elle était heureuse mais me laissait avec le vide causé par son absence. C’est alors que ne sachant quoi faire d’autre, j’ai appelé “ma” maman ! J’avais besoin de m’extérioriser, de partager mon chagrin, d’être comprise », explique Johanne Nicoleau qui décide un jour de prendre rendez-vous avec sa mère Justine Dieudonné pour en discuter. 

Mère et fille partent faire une balade qui les conduira à un marché aux puces. «  En cours de route je demandais à ma mère comment elle avait fait pour supporter mon absence quand j’avais quitté Haïti. Je voulais savoir comment elle s’y était prise pour se relever, elle qui n’avait même pas assisté à ma graduation. « Tu dois te trouver une activité qui pourra combler ce vide-là », m’a-t-elle dit », raconte Johanne. 

Mais quoi? Visitant ce marché aux puces au cours de cette promenade, elle tombe sur un étale où des huiles essentielles et autres savons sont exposées. Elles regardent, touchent et hument les produits. Dans ces petites minutes de conversation silencieuse tout à fait impromptue, jaillit l’idée qui va accoucher de Savon des Îles. De retour dans la voiture, ma mère m’a regardé et m’a dit. « voilà ce que tu vas faire! » Comment as-tu su, lui ai-je demandé à brûle- pourpoint. « Je l’ai lu dans tes yeux » m’a-t-elle répondu.

Le jour même, elles se rendent dans un magasin de loisirs pour acheter de la glycérine et commencer à faire du savon. Elle ignore encore comment s’y prendre, mais internet, mine de ressources, est là. « Un savon à base de glycérine est très facile à faire. La base est déjà préparée, il suffit de la faire fondre, de mettre l’essence parfumée que l’on veut, de la verser dans un moule, de la laisser refroidir et puis c’est tout », expose-t-elle. Mais en bonne perfectionniste, elle s’imagine volontiers que les meilleurs savons du monde ne s’arrêtent pas à un processus de fabrication aussi terre-à-terre. Pour elle, il y avait là un mystère à percer, des savoir-faire à acquérir et une formule à inventer. 

Mère dévouée

Curiosité et intérêts piqués au vif, elle se lance, dès cet instant, dans une quête effrénée pour perfectionner son art. Elle fait des recherches, participe à des conférences, souscrit à des associations, prend des cours. Faire du savon était devenue une passion et elle s’y adonnait sans compter, remettant vingt fois sur le métier son ouvrage. « Je n’ai jamais cessé d’apprendre. Tout le monde peut faire du savon, mais tout le monde n’a pas la même recette.  C’était important de découvrir la mienne, de maîtriser les processus de fabrication, de trouver les bons produits », avance Mme Nicoleau qui se targue de n’utiliser que des huiles végétales et des matières premières qui respectent les plus hauts standards de la savonnerie artisanale dans ses créations. 

« Chez Savons Des Îles, chaque pain de savon est fabriqué, coupé et emballé à la main. Lorsque je fabrique du savon, tout commence par un sentiment, un sentiment qui est suivi d’une vision. Cette vision se transforme ensuite en sélection d’huiles, d’additifs et de parfums. Le processus de fabrication du savon est empreint de beaucoup d’émotions et le produit final en est le reflet. Si un savon pouvait raconter son parcours, il dirait certainement que le processus de création a commencé dans la joie et l’amour ! », raconte celle qui clame haut et fort que ce savon est d’abord le fruit de sa connexion avec sa mère. Le fruit de l’amour d’une mère qui se refuse à être triste parce que sa fille part suivre le chemin de ses rêves, de celui d’une autre mère qui veut à tout prix aider sa fille à se consoler au- delà des mots de réconfort. 

Pour Johanne Nicoleau, « Savon des Îles » a commencé à cause de ces trois femmes. Et pour garder ce cachet, la petite entreprise qui s’est installée depuis 2017 en Haïti n’emploie que des femmes. Sa méthode préférée de fabrication de savon est la méthode à froid qui lui permet de contrôler chaque ingrédient pour un savon spécifique.

Du savon et bien plus 

En 2017, elle fait le choix de s’établir en Haïti. « Je voulais être chez moi. Et malgré les troubles qui ont suivi,  j’avais une sensation de bien-être que je ne pouvais pas articuler », avoue-t-elle.  Elles sont légion pourtant et de plusieurs ordre en plus, reconnaît la femme d’affaires. Le transport, les problèmes politiques, les barrières pour faire de l’importation etc. « Se procurer les matières premières est la plus grande difficulté. Au départ, je me disais, on est sur une île, qu’il y a beaucoup de cocotiers, que ce ne serait pas difficile de trouver de l’huile de coco! Et pourtant j’avais tout faux. Certains te disent que nos cocotiers sont malades, d’autres que c’est difficile d’en acheter. Bref, ce n’est pas donné de trouver de l’huile de coco ici. Quand on en trouve, si ce n’est pas extrêmement cher, l’huile ne respecte pas les spécifications techniques », explique Johanne Nicoleau qui se réjouit tout de même de trouver des fournisseurs d’huiles qui respectent les standards internationaux. 

Elle tire beaucoup de fierté à incorporer un peu d’Haïti dans ses produits, notamment notre huile de ricin “haïtienne”. « Tout ce que nous avons ici c’est de l’or, notre huile de Palma Christi par exemple. Nous nous laissons traiter de pauvres, mais en réalité, nous ne le sommes pas. Nous devons simplement mieux valoriser les ressources du terroir, tant agricoles que minérales. Regardez, on a plusieurs variétés de mangues dans ce pays, mais personne ne fabrique du beurre de mangue. C’est absurde. Nos huiles sont recherchées, elles sont demandées. C’est comme l’huile de vétiver, par exemple, la meilleure du monde, c’est celle que l’on fabrique ici en Haïti. Il y a là tout un marché, avec de la place pour tout le monde », explique Johanne qui espère voir plus de monde investir dans le milieu de la fabrication des huiles en Haïti pour saisir les opportunités sur le marché international.

Si en 2015, elle débutait avec 4 ou 5 savons différents, et ne pouvait produire que 5 à 10 barres par jour, aujourd’hui, elle peut en produire un millier tout en s’assurant que la qualité soit toujours au rendez-vous. Elle a aussi ajouté d’autres articles à sa ligne de bien-être, notamment des lotions, des déodorants solides et liquides, des gommages  émulsionnés, des pastilles de bains, des huiles pour le corps, des parfums d’ambiances, des bougies. L’ambition derrière : faire en sorte que « Savon des Îles » soit reconnue internationalement.

Optimiste, elle voit les défis comme des occasions de grandir. «  Je cherche toujours l’opportunité derrière le problème. Parce qu’il y en a toujours une. J’ai aussi appris qu’il ne fallait jamais baisser les bras parce que cela ne fonctionne pas. Même dans les moments les plus difficiles, il faut composer avec ce qui marche. Ne pas trop embrasser. Ne jamais lâcher prise. Garder le focus, persévérer, garder espoir et avancer en utilisant ses propres forces », rappelle cette femme qui croit fermement qu’il ne faut jamais sous-estimer l’impact qu’un rêve individuel peut avoir, surtout quand on est au service des autres.

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